n°1 Entrelac de 3 labyrinthes

 

n°2 Ciel au fond d'un puit

 

n°3 Rencontre de 3 labyrinthes

 

n°4 Genèse du labyrinthe

 

n° 5 Khora

 

n° 6 Escalier et labyrinthe

 

n°7 Tour de babel

 

n° 8 L'homme du 8e jour

 

n°9 Rencontre du labyrinthe islamique et crétois

 

n° 10 Jérusalem céleste

 

n°11 La partie de go

 

n°12 Temple labyrinthe

 

n°13 Où va le vide

 

n°14 Voyage de Mercier et Camier
Samuel Beckett

 

 

n° 15 Petite musique des sphères

 

1. Le labyrinthe dans le dédale

 

« Selon toutes les apparences, l’artiste agit comme un médium qui à partir du labyrinthe au-delà de l’espace et du temps cherche son chemin vers une clairière. » Marcel Duchamp

Ce site ne présente pas seulement le travail d’un peintre, mais l’ébauche d’une théorie sur les images à laquelle peut mener la pratique de l’art. Inspiré par Aby Warburg1, je trouve le contenu caché ou ignoré de l’art beaucoup plus stimulant que l’esthétique. J’aspire donc dans la mesure de mes moyens à continuer sur ses traces la poursuite de ce qu’il appelle « iconologie », c’est-à-dire le questionnement et la recherche d’un contenu qui, on le verra, peut guider l’évolution de l’art.

1 Aby Warburg  décèle dans l’art de la Renaissance de nombreuses survivances d’anciennes croyances, des fantômes qui deviennent les symptômes d’un malaise ou d’une sorte de schizophrénie de notre culture. « L’interprétation du phénomène historique devient par là même un diagnostique de l’homme occidental luttant pour guérir de ses contradictions et pour trouver, entre l’ancien et le nouveau, sa propre demeure vitale. » « Ce qui fait sens dans une culture c’est le symptôme, l’impensé, l’anachronique de cette culture. »
Dans une exposition appelée Mnémosyne, il devient lui-même artiste exposant ou révélant en quelque sorte un contenu de l’espace ou de la brèche entre des images différentes ; cette brèche agit de manière similaire à un « engramme » : l’énergie accumulée après un choc psychologique qui peut plus tard se décharger sur une autre image ou un phénomène. « L’attitude tropologique qu’il adopte est un état mental qui permet d’observer la fonction de l’échange d’images in status nascendi. »

Bibliographie :
Giorgio Agamben
  Aby Warburg et la science sans nom
P.- Alain Michaud Aby Warburg et l’image en mouvement
Didi Huberman L’image survivante

 

Ce qui est présenté dans mes plus récentes peintures est le chemin du labyrinthe dans un dédale. Contrairement à un malentendu courant, le labyrinthe n’est pas un dédale, il est unicursal et donc on ne s’y perd pas, on s’y retrouve. Certains affirment du reste que pour se trouver véritablement il faut d’abord être perdu. Le labyrinthe représente le chemin suivi par Thésée grâce au fil d’Ariane, menant hors du dédale à partir de son centre. Ce qui est embarrassant c’est que personne ne s’entend sur ce que pouvait être le dédale, aussi l’image du labyrinthe est toujours présentée hors contexte !

Par chance, j’ai découvert que le labyrinthe, avec le dédale, se formait à partir de la déconstruction d’un nœud. Un nœud gordien 2 ou un nœud symbolisant l’unité du tout. Deux symboles apparemment étrangers se trouvent alors réunis. La construction du labyrinthe offre du même coup une solution au problème du nœud gordien qui se trouve dénoué (voir 2 Construction du labyrinthe ou mon livre The Genesis and Geometry of the Labyrinth 3.)

 

2 La légende prédisait que le monde appartiendrait à celui qui saurait le dénouer. Alexandre de Macédoine le trancha en deux avec son épée.
3 The Genesis and Geometry of the Labyrinth : ed. Inner Traditions. Il existe une première version française publiée par Albin Michel. La version américaine est traduite en italien et en grec.


 

Mes tableaux représentent donc le plus souvent la construction du dédale contenant le labyrinthe. Le dédale n’est plus un lieu préétabli dont nous devons nous échapper, mais un motif qui se forme simultanément au labyrinthe lorsque l’on recherche le lien entre les choses et en quoi consiste l’unité du monde. Comme j’utilise du film holographique (voir 7 Holographie) dont la luminosité et l’aspect change suivant la place d’où on le regarde, leur aspect leur apparence peut évoquer aussi bien le dédale d’une ville illuminée survolée la nuit que celui de l’Internet ou d’un réseau de neurones. Dans ce réseau, le labyrinthe peut être souligné de manière distincte (fig. 4) ou bien se fondre avec le dessin du dédale, où on ne peut plus le distinguer (fig. 5). Il est alors suggéré que, même s’il existe dans le dédale où nous nous enfermons, son chemin devient impossible à reconnaître et se révèle comme une construction de l’esprit.

Mais pourquoi chercher ce chemin ? Symboliquement, il représente la réponse sibylline à la question: Qui sommes-nous ? D’ou venons-nous ? Où allons-nous ? On peut bien sûr se demander d’où vient cette réponse, et il devient alors tentant de suivre la Sibylle ou de l’attirer hors de sa grotte. Pour moi la découverte du labyrinthe était l’aboutissement d’une longue démarche qui ne pouvait s’arrêter là. Le parcours du labyrinthe est semblable à celui offert par un mandala dans un panthéon bien organisé, mais il devient difficile de décider comment il se traduit dans un contexte prosaïque quotidien. En construisant de manières diverses le chemin du labyrinthe, j’ai pourtant souvent comme l’impression de suivre un rituel4 et de me découvrir car, d’une certaine manière, nous sommes définis par le chemin que nous suivons et en organisant un réseau de lignes je le ressens à la manière de Gilles Deleuze, qui nous dit : « J’essaye d’expliquer que les choses, les gens, sont composés de lignes très diverses, et qu’ils ne savent pas nécessairement sur quelles lignes d’eux- mêmes ils sont, ni où faire passer la ligne qu’ils sont en train de tracer, bref il y a toute une géographie dans les gens avec des lignes dures, des lignes souples, des lignes de fuite, etc. Partir, s’évader, c’est tracer une ligne….Fuir c’est tracer une ligne, des lignes, toute une cartographie. On ne découvre des mondes que par une longue fuite brisée»  

 

4 Comment définir l’image pour accepter que son élaboration puisse constituer un rituel ? Il y a de si nombreux et variés aspects de l’image qu’on ne peut aisément la définir. Pour réduire le champ d’investigation, Marie Jose Mondzain (dans Penser l’image, Presses du Réel) utilise la relation provenance destination. En connaissant d’où vient l’image, on sera capable d’énoncer sa nature. « Le genre de l’image est foncièrement paradoxal : Production du sujet, l’image fait advenir le sujet même qui l’a produit.» «Les opérations imageantes sont inséparables des gestes qui produisent des signes qui, à ce titre même, permettent les procès d’identification et de séparation sans lesquels il n’y aurait pas de sujet. »  Il faut alors choisir entre l’image comme opérateur et l’image comme objet. Du fait de sa relation avec le sujet, nous devons opter pour le premier choix. « Chaque fois que l’on réduit l’image a n’être qu’un objet, on porte atteinte à la destination du sujet lui même » M.J. Mondzain propose donc une hypothèse : « Entre notre provenance et notre destination, c’est l’image qui vient se placer en tant qu’opérateur historique de la médiation et productrice de réponse » Mondzain ne parle donc plus d’une image particulière ou de l’image comme objet, mais de sa destination, une destination forcément indéterminée «qui n’est rien d’autre que son ouverture aléatoire. » Elle considère non pas seulement la place de l’image « dans la réflexion subjective, mais l’image sur une trajectoire qui envisage une genèse et une visée dans son déploiement… une visée selon une fin. » Comme pour l’icône, ce qui caractérise l’image, c’est alors « l’essence du regard  porté sur elle .»
Je ne saurais résumer complètement ici ou faire justice au texte de Mondzain qui demande à être relu et médité, mais il me semble que l’image dont elle parle est une image qui devient intérieure et se transmute puis évolue dans son propre milieu sous l’influence d’un « commerce des regards » , une image qui se manifeste dans l’art comme une trace laissée dans le sillage d’une trajectoire. Il y aurait alors en fin de compte un lien entre toutes les images possibles, un réseau d’images dans lequel peuvent se déchiffrer des voies menant à une involution ou à une évolution.. Dans ma modeste lorgnette je vois un dédale d’images contenant des chemins labyrinthiques. Si le texte de Mondzain permet de comprendre comment la fabrique de l’image peut constituer un rituel, elle offre aussi un modèle à la démarche que j’ai suivie et que j’essaye de comprendre et de décrire.

 

 

Henri Michaux a eu une expérience similaire en dessinant sous l’influence de la drogue.
« Ici seulement une ligne qui éclate en mille aberrations…Tout moi devait passer par cette ligne… Par le même chemin obligé de passer, moi, mes pensées et la vibration. » En suivant ces lignes, je me découvre comme le nœud dédoublé, moi aussi double. Un chemin correspond à l’observateur en moi, l’être témoin étonné de ma vie, tandis que l’autre représente une existence le plus souvent incompréhensible ou absurde comme celle d’un personnage de Samuel Beckett. Ainsi l’art et la représentation peuvent changer les questions que nous nous posons et réciproquement les nouvelles questions en évoluant produisent des forces qui font évoluer les formes correspondantes. Une relation dynamique s’établit entre fond et forme et de nouveaux développements sont toujours à prévoir (voir 5 Fond et forme).

 

Récemment, j’ai réalisé que la construction du labyrinthe correspond à la Khora, la création du monde comme image des idées décrites par Platon dans le Timée (voir 8 Khora). Ainsi finalement, à ma grande surprise, c’est comme si le chemin du labyrinthe tenait ses promesses même graphiquement et menait le peintre à une théorie très particulière sur la nature des images, c’est-à- dire à la réponse à « Qu’est-ce que je peins ? ». Il mène aussi à ce que je suis, puisque, selon Platon, nous sommes des images. Comme le prédisait Mircea Eliade  « l’image attend l’accomplissement de son sens ». Evidemment cette image n’est pas quelque chose qu’on peut s’approprier comme une tranche de vache conservée dans le formol par Damien Hirst, mais plutôt elle montre sous un nouvel angle la nature du chemin du labyrinthe comme une série de cercles herméneutiques connectés entre eux. L’image de l’homme se présente finalement comme celle d’une voie.

 

 

 

n° 16 Petite musique des sphères